Anne Denoël, Responsable Clearing House Luxembourg

« Mesdames et Messieurs, chers Collègues, bonjour et merci à l’Euro-Info-Consommateurs et à la Clearingstelle de Kehl d’avoir organisé cette conférence. Ce genre d’initiative est nécessaire au renforcement et à l’évolution du réseau EEJ-Net et de ses points de contacts : les Clearing Houses.
En effet, pour pouvoir collaborer de façon efficace, les Clearing Houses doivent nécessairement échanger leurs expériences afin d’améliorer l’efficacité du réseau en tenant compte de cas pratiques. Beaucoup reste à faire. Beaucoup de lacunes doivent être comblées, mais en deux ans, nous avons pu remarquer une amélioration sensible (même si elle reste encore insuffisante) de la connaissance du règlement extrajudiciaire des litiges et de la perception de celui-ci tant par les consommateurs que par les professionnels. Les consommateurs et les professionnels se montrent de plus en plus favorables à ce mode de règlement qui permet une résolution rapide des litiges transfrontaliers, dont l’enjeu financier est peu élevé, c’est-à-dire qu’il se situe en-deçà de 500 euros. Il est vrai également de dire que si les consommateurs savent qu’ils seront défendus efficacement en cas de litige, ils vont plus volontiers effectuer des achats de biens ou de services dans un autre Etat membre.
Au Luxembourg, le Clearing House existe depuis janvier 2002 et est intégré au Centre Européen des Consommateurs.
Le Luxembourg est un Etat un peu particulier car son territoire est peu étendu, il est plurilingue et multiculturel. Les résidents luxembourgeois vont dès lors assez facilement acheter des biens ou des services dans les pays qui les entourent. Le Luxembourg accueille également environ 100.000 non-résidents qui y travaillent et y effectuent certains de leurs achats. Les échanges sont dès lors très nombreux et fréquents. Nous recevons des litiges concernant la plupart des Etats membres. Mais le plus grand nombre concerne l’Allemagne, la Belgique et la France. Des différents litiges qui nous sont déclarés, nous avons pu déduire qu’il serait très intéressant de pouvoir, peut-être pas nécessairement uniformiser ou harmoniser les procédures devant les DAR entre ces trois pays, mais à tout le moins faire en sorte qu’une connexion efficace soit possible.
Nous avons remarqué cela surtout en matière de construction ou de travaux immobiliers, d’achat de meubles, de voyages à forfait, de vente de véhicules neufs ou d’occasion. Dans ces domaines il serait nécessaire que les DAR des trois pays puissent échanger leur expérience et trouver un moyen de faciliter aux consommateurs l’accès à ce mode de règlement, quelque soit l’Etat d’où est originaire le professionnel. Par exemple, normalement, dans le réseau EEJ-Net, c’est le DAR du pays de provenance du professionnel qui doit être saisi d’un litige. Or, il y a deux problèmes à ce sujet : les doléances du consommateur doivent être constatées par le DAR. Mais ce DAR sera-t-il d’accord de mandater un expert en dehors de son pays ? Deuxième problème le consommateur ne fait pas nécessairement confiance à un organe venant d’un autre pays que le sien. Il se dit que cet organe risque de favoriser le professionnel de son propre pays. Or s’il existe une synergie entre les DAR dans une même matière, le consommateur pourra par exemple contacter le DAR de son pays pour recevoir des informations et être rassuré. Il serait important de consolider les DAR existants, de créer de nouveaux DAR et ensuite d’examiner de quelle manière ils peuvent collaborer.

L’Etat luxembourgeois a jusqu’à présent notifié 4 DAR à la Commission européenne. Ces DAR remplissent les conditions de la Recommandation 98/257/CE concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation. Il s’agit de :
- La Commission de Surveillance du Secteur Financier,
- La Commission des Litiges Voyages,
- L’arbitre de la Fédération des Garagistes du Luxembourg,
- L’ombudsman des assurances.

C’est évidemment déjà une excellente chose que ces DAR existent. Mais, nous avons pu constater plusieurs lacunes dans leur fonctionnement. Enfin dans plusieurs domaines, il n’existe tout simplement pas de DAR. Comme par exemple il n’existe pas de procédure en matière d’achat de véhicules neufs ou d’occasion, d’assurance vie, d’achat de matériel Hifi, d’achat de meubles, etc.
Lors d’une réunion à Bruxelles en date des 25 et 26 septembre derniers, en présence des représentants des Etats membres, des directeurs des CEC et des responsables des Clearing Houses, la Commission européenne a annoncé son intention de continuer à cofinancer le projet EEJ-Net. Elle a répété l’importance de ce réseau pour la protection des consommateurs au niveau de l’Union européenne. La Commission européenne préconise d’une part la création d’organes de règlement extrajudiciaire des litiges dans les domaines où le besoin s’en fait sentir et d’autre par l’amélioration de la structure, du fonctionnement et de l’efficacité des organes existants. Alors, comment faire ? Se posent deux questions : motivation et financement. Les professionnels d’un secteur sont-ils prêts à accepter la création d’un organe de règlement des litiges ? Sont-ils prêts à s’y impliquer et à accepter un avis ou une décision pris par cet organe ? Concernant le financement, les professionnels d’un secteur sont-ils prêts à contribuer financièrement au fonctionnement de l’organe de médiation ?

Après un an et onze mois de fonctionnement, le Clearing House du Luxembourg peut tirer de son expérience les conclusions suivantes :
- il serait judicieux de créer au Luxembourg de nouveaux Dispositifs Alternatifs de Règlement des litiges dans plusieurs domaines comme par exemple la construction et la rénovation immobilière, l’achat de meubles, l’achat de voitures neuves et d’occasion, les assurances-vie.
- les DAR existants devraient se professionnaliser afin de fonctionner efficacement.
- les DAR existants devraient pouvoir s’adapter aux litiges transfrontaliers, en mettant en place par exemple une procédure écrite par Internet, résoudre le problème des langues, les différences dans les législations, le problème de loi applicable et de juridiction compétente, etc.). Cela est difficile à l’heure actuelle car nous avons pu constater que certains DAR connaissent mal ou ne connaissent même pas l’existence du réseau EEJ-Net.
- une collaboration efficace devrait être mise en place entre les DAR et le Clearing House du Luxembourg pour permettre à ce dernier de fournir des informations fiables à la Commission européenne, par exemple pour vérifier l’adéquation des DAR aux recommandations de la Commission européenne, de lui fournir des statistiques de résolution des litiges transfrontaliers par une procédure de règlement extrajudiciaire des litiges, etc.).
- une collaboration entre les DAR des différents Etats membres devrait également être envisagée. En pratique, il est évident que l’organe qui est situé dans l’Etat membre du professionnel peut exercer une pression plus efficace sur le professionnel. Comme déjà précisé ci-avant, à plusieurs reprises, nous nous sommes pourtant aperçus qu’un échange de vues et/ou un travail en commun serait tout à fait utile voire même nécessaire.

Pour atteindre ces objectifs, il nous semble qu’il est très important de procéder de la manière suivante et dans l’ordre suivant :

- définition préalable d’un système de règlement extrajudiciaire des litiges adapté à l’environnement luxembourgeois ainsi qu’au règlement des litiges transfrontaliers.
- prise de conscience par les professionnels de l’importance d’un tel système.
- prise de conscience des consommateurs : cette étape est très importante et doit venir en fin de parcours. Il ne faut en effet pas perdre de vue que de la bonne organisation du système dépendra son succès. Si les consommateurs se trouvent face à un organe désorganisé et peu professionnel, la perte de confiance dans le règlement extrajudiciaire des litiges peut être irréversible.

Quels seraient donc les arguments pour convaincre les professionnels de l’utilité des DAR ? Tout d’abord, le gain de temps, d’argent et d’énergie. Ensuite, la publicité positive pour eux. Un professionnel qui accepte une médiation et qui reste de bonne foi pendant la procédure de médiation pourra voir augmenter sa crédibilité auprès des consommateurs. On pourrait imaginer par exemple de créer un label de qualité. Les entreprises qui se conformeraient aux règles de fonctionnement du DAR pourraient utiliser ce label comme un élément de marketing.

Quant aux consommateurs, il est déjà clair que les arguments de rapidité, d’efficacité, et de prix ont une très grande importance pour eux également. Leur objectif premier est de voir leur différend résolu le plus rapidement possible et au moindre coût.

Reste évidemment l’aspect « confiance ». Notre expérience nous a permis de voir que tous les arguments évoqués précédemment avaient un poids certain, mais que, tant les professionnels que les consommateurs conservaient un certaine peur de ce système, nouveau au Luxembourg et forcément assez méconnu. Une publicité a posteriori est dès lors aussi importante qu’une publicité informative. Les résultats de la médiation devrait pouvoir être porté à la connaissance du public afin qu’il s’habitue à observer l’impact positif de ce type de procédure. L’implantation de DAR, à côté de l’appareil judiciaire passe donc par un changement des mentalités. Chacun doit bien comprendre que le règlement extrajudiciaire est un plus qui ne remplace pas la justice, mais la complète. Les litiges réglés par les DAR devraient, selon nous, être pour la majorité des litiges qui ne seraient jamais allés devant un tribunal.

Pour en revenir à la publicité concernant les DAR, la Commission européenne demande qu’elle soit amplifiée. Mais à l’heure actuelle, comme il est précisé ci-dessus, il est très délicat de promouvoir des DAR encore peu fiables. Il serait donc très important de commencer à mettre en place au plus vite des DAR efficaces. Il n’est pas superflu de répéter que la meilleure publicité réside dans le bon fonctionnement du système, surtout dans un petit pays comme le Luxembourg où le bouche à oreille a une importance particulièrement grande. Le bouche à oreille pourrait d’ailleurs être atout énorme qui permettrait aux DAR de se faire connaître très rapidement.

Un rapport détaillé, faisant état de constatations basées sur la pratique, a été remis par le Clearing House au Ministère de l’économie luxembourgeois. Sur base de son contenu, le Ministère de l’économie luxembourgeois est occupé actuellement, en collaboration étroite notamment avec le Clearing House, à déterminer la manière la plus efficace d’organiser le système de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation transfrontalier au Luxembourg. A l’avenir, nous poursuivrons nos efforts, avec nos collègues des autres Clearing Houses, afin de mettre en place un réseau efficace, souple et évolutif. Merci de votre attention. »